Action de grâce du bicentenaire

Action de grâce du bicentenaire

200 ans de la Sainte Famille : Homélie de l’évêque + Olivier Leborgne

10 juin 2017 – Cathédrale d’Amiens
Fête de la Sainte Trinité

 Il faut coûte que coûte offrir aux générations futures la joie de connaitre Jésus et sa Sainte Famille

déclarait hier soir Jeanne-Claude Jacoulet au début du spectacle que vous nous avez donné dans cette cathédrale hier soir.

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Et l’abbé Maire, quelques instants après précisait :

 Vois-tu ces enfants privés de toute instruction, volons à leur secours, apprenons-leur à lire, à écrire, à connaître Dieu et à le prier.

Depuis 200 ans et l’arrivée des sœurs de la Sainte Famille à Amiens, le contexte a évidemment changé. La société a bougé.  L’Etat veut aujourd’hui assumer ses responsabilités pour que l’enseignement soit accessible à tous. La misère qui sévissait à Amiens a sans doute reculé. L’Eglise, quant à elle, a été profondément secouée. Elle a été passée au crible des maîtres du soupçon et peut, sinon paraître à beaucoup superstition, du moins être réduite à une tradition nécessaire, ou à un vecteur de repères moraux indispensables, ces fameuses « valeurs de l’Evangile » dont j’entends beaucoup parler sans trop jamais savoir ce qu’elles recouvrent.

Pourtant Mère Jacoulet se situe autrement :

il s’agit d’offrir coûte que coûte la joie de connaître Jésus et sa Sainte Famille. »

Il n’est ici nullement question de valeurs ni de repères moraux mais de joie : la joie de connaître Jésus et sa Sainte Famille.

Mère Jacoulet sait de quoi elle parle : elle a vécu la Révolution avec ses violences et ses persécutions, elle est veuve. Elle ne parle pas d’une fuite du monde ou d’un sentiment évanescent mais bien d’une joie pour des temps secoués – quelle actualité ! – : « la joie de connaître Jésus et sa Sainte Famille. »

Cela peut nous aider à réfléchir sur l’acte éducatif en tant que tel, et le projet de l’école catholique. Il est bien sûr d’assurer la transmission des savoirs pour préparer à une insertion professionnelle la plus heureuse possible. Mais la visée est plus large : à travers l’enseignement et l’accompagnement que cela exige, l’acte éducatif et le projet de l’enseignement catholique veulent servir l’enfant ou le jeune dans sa croissance pour qu’il puisse advenir à son humanité adulte, debout au cœur du monde, et dans ce monde, acteur d’avenir avec d’autres. « Deviens ce que tu es » pour reprendre les mots de St Augustin dans une formule qui pourrait désigner aussi bien l’aventure de la liberté que le but de toute éducation.

Il me semble alors que la joie est l’un des objectifs de l’éducation, peut-être le premier.  La joie bien plus profonde que le sentiment qui parfois nous traverse sans durer. La joie qui peut traverser l’épreuve jusque dans son éventuelle violence. La joie comme la traversée de ses propres contradictions qui autorise l’advenue à soi-même. La joie comme vision d’espérance qui sait trop sa complicité avec le mal pour le nier mais qui pourtant ne s’y laisse jamais enfermer. La joie comme don de soi pour faire vivre d’autres, et comme capacité d’engagement avec d’autres. La joie qui se tisse avec la rigueur et la compétence et qui pourtant ne confond jamais utilité et rentabilité avec fécondité.  La joie comme attention à chacun dans son unicité et capacité de vision large ; la joie qui n’a pas peur du pas à pas mais ne fait jamais de l’humilité l’alibi de la médiocrité. La joie tout simplement de faire, pour reprendre une expression du Père Xavier Thévenot en parlant de la conscience, « notre métier d’homme » ou « de femme » comme une promesse toujours ouverte.

Oui, la joie est au fondement de l’acte éducatif.  Il faut alors être très clair : nulle morale, nulle doctrine, ne peut viser un tel horizon. Parce que la question éducative n’est pas d’abord morale, pédagogique ou doctrinale, mais spirituelle. Elle s’adresse au plus intime de la personne humaine, dans cette fine pointe de l’être qu’aucun déterminisme ne peut épuiser, dans ce lieu de la liberté, espace infini au cœur de l’homme qui est d’abord un lieu relationnel.

Et Mère Jacoulet en a l’expérience : cette joie n’existe qu’en se recevant. La source de cette joie n’est pas en elle mais elle naît d’une relation. Elle est sans cesse offerte dans la rencontre de Celui qui ne cesse de se donner pour nous faire vivre.

Mère Jacoulet ne veut pas que des têtes bien pleines, elle veut des hommes et des femmes épanouies.

 « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique… », entendions-nous en ouverture de l’Evangile.  La Croix par le don du Fils dévoile le cœur de Dieu : il est amour (son identité, pas un qualificatif). Il est fondamentalement et essentiellement amour : c’est son être, et c’est bien ce que dit la Trinité. Un seul Dieu (résolument monothéiste) et Trinité d’amour, par essence relation « insécable » : le Père est donateur et par nature ne cesse de se donner au Fils, le Fils ne cesse de se recevoir du don du Père et ne sait faire qu’une chose de ce don accueilli : le retourner au Père. Et de cette circulation « nucléaire » de l’amour ne cesse de jaillir l’Esprit Saint comme partage de l’amour du Père et du Fils, comme Dieu, amour toujours en excès. Devant la Croix je comprends la Trinité et je fais cette expérience vitale et fondatrice : « Je suis aimé donc je suis. »

Je n’ai pas le temps de discuter ici la célèbre formule de Descartes : « je pense donc je suis ». Je me méfie d’une autre formule : « je donne donc je suis », je sais trop le mal que peut faire une certaine pathologie du don. En revanche, nous sommes précédés, appelés par Dieu qui est amour et qui demande à faire sa demeure en nous. Là se trouve la dignité de toute personne humaine, et la source indépassable de son avenir : « je suis aimé, donc je suis. »

« Depuis 200 ans, dans la simplicité de leur foi et de leur amour joyeux, des femmes ont œuvré à servir Notre Seigneur Jésus Christ  dans la personne des enfants », entendions-nous hier en voix off, à la fin du spectacle.  Merci à vous mes sœurs, et à celles qui vous ont précédés. Merci à ceux que vous avez mis en route, chefs d’établissement et membres des communautés éducatives. Merci de porter l’acte éducatif comme un acte de foi, en ceux que vous servez bien-sûr (aucune éducation n’est possible sans confiance en ceux que l’on sert dans une mission éducative),  en Dieu plus encore qui  fonde toute joie et qui est ultimement la source et l’âme de l’acte éducatif.

« J’ai osé… »

disait hier soir à trois reprises Mère Jacoulet. Je rêve d’un enseignement catholique libéré de ses peurs, qui plonge à temps et à contre temps à sa source pour servir la joie des jeunes et de leur famille. Je rêve d’un enseignement catholique qui ose des chemins nouveaux pour aider des jeunes à se construire durablement. Je rêve d’un enseignement catholique qui sait rendre grâce pour tout ce qui a été reçu et relève avec courage, audace et nouveauté quand cela est nécessaire les défis à venir.

Il faut coûte que coûte offrir aux générations futures la joie de connaître Jésus et sa Sainte Famille. »

Que le Seigneur soit béni !

+ Olivier Leborgne